Du seul fait de sa situation géographique, Marrakech est un défi aux lois climatiques. Implantée dans une zone aride, où la pluie ne trempe que rarement le sol, la grande oasis se dresse fièrement et s’étend depuis des siècles. Et puisque nous parlons de pluie, précisons-en la nature : une rafale de grosses gouttes, rapides, déjà vaporisées dans l’atmosphère avant qu‘elles n‘aient pu s‘infiltrer. Le reste du temps, une chaleur sèche saharienne écrase la ville. En ce site où rien ne prédisposait l‘implantation d‘une agglomération, le jaillissement de l’eau relève de l’affront. Les fondateurs de Marrakech et leurs successeurs ont pourtant réussi cette gageure. Outre les immenses bassins, comme ceux de la Ménara et de l’Agdal pour ne citer que les plus célèbres, des fontaines sont disséminées dans tous les coins de la cité.
Sources de rafraîchissement et de vie, les fontaines abondent car elles sont à la croisée de diverses raisons d’être. Capitale Makhzen et porte du désert, Marrakech pourvoit aux besoins des milliers d’hommes qui y vivent et s’y concentrent depuis sa fondation. La ville se doit donc de répondre à la forte demande en eau de ses habitants. Une autre raison se cache toutefois derrière la multiplication des fontaines dans la ville rouge : l’implantation de Marrakech en terres coraniques. Le saint Coran souligne en effet qu’il est obligatoire de donner à boire à tout homme assoiffé. Soucieux de respecter ces versets du Coran et tout autant de glorifier leur richesse, des souverains ou des notables ont tour à tour assuré leur prestige par l’édification de fontaines. Dans un passé encore récent (les années 1920-1930), la ville connue quantité de mécènes … qui financèrent de nouvelles fontaines !
S’il semble facile de construire des fontaines à tour de bras, on est en droit de se demander d’où vient cette eau improbable. Séquestrée par un soleil étouffant, Marrakech semblait condamnée à ne pas exister. Revenons donc au commencement, lorsque que quelques puits entretenaient difficilement un unique marché, des ateliers ainsi qu’une armée. Une armée Almoravides dont l’émir était bien décidée à arracher sa capitale au désert…
Les khettaras, l'ancestral système d'adduction en eau
Au début du XII ème siècle, l’armée établie sur le site de la future Marrakech, était précisément celle des Mourabitoune. Les Mourabitoune, des moines-guerriers islamisés, appartenaient au clan berbère mauritanien des Lemtouna Sanhaja, plus connu sous le nom « Almoravide ». Leur nouvel émir, Ali Ben Youssef (deuxième Amoravide) avait décidé d’implanter sa capitale au lieu choisi comme campement par son père. Dans cette région semi désertique, pour rendre possible la naissance d’une métropole verdoyante, l’adduction d’eau était un problème à résoudre en priorité. Un architecte du nom de Abdallah Ben Younes (ou Obeidellah Ibn Younes) entreprit alors de reprendre un antique procédé, apporté au Maroc par les conquérants Arabes au VIII ème siècle : le système des khettaras.
La technique, née il y a plus de 3000 ans en Perse antique, se retrouve aussi bien dans tout le monde musulman qu’en Chine, au Japon ou encore en Amazonie. Les Khettaras sont de longues galeries souterraines qui permettent de conduire l’eau à partir d’une nappe phréatique, à plusieurs kilomètres en contrebas.
La plupart des Khettaras « marrakchies » se relient en pays de pays de Piémont (aux pieds de la chaîne du Haut Atlas) où elles viennent puiser les ressources souterraines en eau, procurées par les glaciers des hauts sommets de l’Atlas. La construction de ces canaux fut un travail long et pénible pour les 10 000 puisatiers réquisitionnés. Afin que l’eau puisse émerger à la surface du sol, les grands drains longilignes sont inclinés en une pente très douce, inférieure à celle du terrain naturel. Ils ont l’avantage de drainer l’eau grâce aux lois de la gravité donc sans recours à une quelconque énergie. De plus, les conduites étant souterraines, la quantité d’eau transportée depuis la nappe jusqu’au jaillissement à l’air libre, reste identiques : aucune évaporation. En revanche, les Khettaras ont l’inconvénient de ne pas utiliser aux mieux les réserves des sources phréatiques. En outre, elles demandent un énorme travail d’entretien. Pour ce fait, de nombreux puits dont l’emplacement est régulier, permettent plusieurs accès pour chaque galerie souterraine. Ils jouent un rôle d'aération et de point d'épuration, afin de déblayer la khettara lorsqu’elle est obstruée.
Une fois que l’eau émerge à la surface du sol, elle est acheminée vers les lieux d’utilisation soit pour l’irrigation des vergers ou des champs de l’arrière pays marrakchi, soit pour l’adduction d’eau à des édifices publics (mosquées, fontaines, hammams, etc.). Parfois une citerne assure le relais comme à la Qoubba Almoravide par exemple. Au milieu du XII ème siècle, le géographe marocain Al Idrissi décrit les Khettaras : « L’eau dont les habitants ont besoin pour arroser leurs jardins est amenée au moyen d’un procédé mécanique ingénieux dont l’invention est due à Obeidellah Ibn Younes… Les habitants de la ville, voyant le procédé réussir, s’empressèrent de creuser la terre et d’amener les eaux dans les jardins; dès lors, les habitants et les jardins commencèrent à se multiplier, et la ville de Marrakech prit un aspect brillant ».
Des techniques plus sophistiquées furent par la suite mises en place sous la dynastie suivante, les Almohades. Afin de capter et conduire l’eau des oueds du Haut Atlas, ils construisirent une seguia longue de vingt-cinq kilomètres.
Actuellement, le sud marocain recense 410 khettaras dont 191 sont toujours la source d’approvisionnement en eau (surtout pour l’irrigation) de plusieurs villages. Néanmoins d’importants travaux de réhabilitation doivent être mis en œuvre afin de sauver ce procédé d’irrigation traditionnelle ainsi que de nombreuses exploitations.
La fontaine : centre de vie du derb
Boire, se laver, cuisiner, nettoyer, rincer, etc. ; les fontaines officiaient pour tant d’activités de la vie quotidienne qu’elles devinrent rapidement lieu de ralliement. On y veillait la nuit tombée et le jour venu s’y réglaient les problèmes de quartier, ou plutôt de derb. Spécifiques à l’urbanisme arabe, les derb sont des quartiers de maisons lesquelles sont construites autour d’une seule ruelle qui s’entortille ou s’étire en tout sens. A l‘entrée, une porte en fermait l‘accès pour la nuit. Unité de base des médinas, les derb tendaient également vers une certaine autonomie. Chacun d’eux possédait son four, sa mosquée et sa fontaine. Au début du XX ème siècle, Marrakech comptait 89 fontaines. Précisément, celles-ci alimentaient 60 mosquées, 23 bains et 10 vergers!
Les fontaines étaient parfois de simples points d’eau alors que d’autres constituaient de véritables monuments. Ce sont les souverains Saâdiens qui donnèrent élégance et noblesse à certaines d‘entre elles. On considère par ailleurs que les fontaines saâdiennes contribuèrent à doter Marrakech d‘une unité architecturale. « La ville est aujourd’hui fort peuplée et s’embellit tous les jours par la faveur du Roy, » écrivait le chroniqueur espagnol Marmol, prisonnier au Maroc, en faisant référence aux grands travaux lancés par le sultan Abdallah Al-Ghalib.
Aujourd’hui la majorités des maisons a accès à l’eau, les fontaines publiques sont quelque peu tombées en désuétude. On y lave désormais les bicyclettes ou les pieds. Heureusement pour nous des travaux de restauration ont eu lieu, redonnant ainsi aux grandioses fontaines saâdiennes leur prestige d’antan.
Les fontaines à découvrir
Au fil de vos pérégrinations dans la Médina de Marrakech, vous tomberez sur certaines fontaines dignes d'intérêt. Voici les principales.
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