Sous un tamis de roseaux qui filtrent la lumière, des kilomètres de ruelles et venelles à en plus finir qui se croisent, s’entremêlent, et forment un vaste dédale depuis la mosquée Ben Youssef jusqu’aux abords de la place Jemâa El Fna. Nous voici plongés au sein des souks marrakchis qui comptent parmi les plus authentiques et les plus réputés de tout le royaume chérifien.
Ses rues, ponctuées de portes cochères, d’impasses et de culs de sac, étalent mille et une couleurs et tout autant de saveurs et senteurs s’en échappent. Ses innombrables échoppes et boutiques débordent de la verve des marchands et du labeur des artisans. Chaque journée apporte son flot de visiteurs. Certains s’émerveillent d’un patrimoine déjà relayé aux oubliettes en Occident, d’autres cherchent des yeux la perle rare au meilleur prix. Dans cet océan de créations artisanales, on peine à se repérer. On se laisse perdre, guidé par nos sens en éveil, par un parfum d’ambre carbonisé, par le reflet du cuivre martelé ou de la laine tissée, par le cliquetis des outils, une senteur de cuir tanné, ou encore la densité de la foule. Un peu plus tard, ébloui, on se retrouve à l’endroit même où l’on fuyait les interpellations d’un marchand entreprenant … car le souk reste l’endroit privilégié du négoce.
A l’origine, ces terrains au nord de Jemâa El Fna constituaient le point de rassemblements des caravaniers en partance pour le sud et Tombouctou. Ils y venaient s’y équiper afin d’affronter le désert. C’est autour du marché (souk) que le rassemblement urbain a pris forme et s’est, au fil du temps, développé. Le souk constituait, de plus, un terrain neutre pour les différentes tribus qui y venaient pour se rencontrer, régler les litiges et les emprunts ou arranger les mariages. Le développement de Marrakech aidant, il est devenu peu à peu une véritable institution sociale à part entière. On y apprenait et appliquait les règles de la vie en société, les conventions sociales.
Et l’artisan, âme du souk élevé au rang d’artiste créateur, était un des piliers de la communauté. Les corps de métier se comptaient par dizaines et étaient régis par une hiérarchie, des codes, des légendes. Aujourd’hui, avant de s’immerger dans une étroite artère de ce grand quartier, le passant peut marquer une pose et lever ses yeux à l’étage supérieur. Sur le fronton d’une antique porte cochère il peut-y lire l’activité qui s’y est pratiqué pendant des siècles, ou celle qui avait cours il y a encore quelques décennies. Désormais, cette organisation traditionnelle tend peu à peu à disparaître, bouleversée par des règles nouvelles, étrangères à un mode de fonctionnement multiséculaire (travail des enfants désormais interdits, diffusion du mode de vie occidentale qui éblouie les nouvelles générations d’un avenir meilleur, apparition d’intermédiaires dans le processus de production relayant l’artisan au rang d’ouvrier, etc.)
Illustrant la dégradation des conditions de l’artisanat, de nombreux bazars touristiques ont envahi une partie du périmètre du Souk Smarine et vendent baskets, tee-shirts, jeans et autres produits made in China. Regroupés en proximité de la place Jemâa El Fna, les bazars sont le repaire de redoutables commerçants qui savent intéresser les touristes, les garder dans leur boutique et conclure de juteuses affaires. En revanche, si l’on s’engage plus en avant, dans les ruelles tortueuses entre le quartier Mouassine et la mosquée Ben Youssef, on pourra alors se perdre sans crainte dans un monde certes plus austère, mais surtout plus calme, fait de bruits de métaux, de rires et d’invitations tranquilles, où une tasse de thé sera plus souvent de rigueur pour accompagner les négociations, apaisant vendeur et acheteur. C’est l’univers des ferronniers (Souk Haddadines), des menuisiers (Nejjarines), teinturiers (Sebbaghines), vanniers (Chouari) et d’autres artisans continuant à utiliser les outils et les techniques ancestrales. Dans cette atmosphère étrange où le temps et l’espace semblent figés depuis des générations, ces artisans de la Grande Enseigne sont le témoignage pour les touristes des métiers d’autrefois.